mardi 3 mai 2011

Singles

La question du célibat sacerdotal, tant dans son origine que dans ses implications concrètes, est un sujet qui enflamme les passions. Il provoque des débats sans fin, et souvent sans intérêt puisque nourris d'idéologie, étayés d'arguments contestables et de revendications impérieuses. L'actualité récente nous a nous a offert un énième écho de ces mouvements contestataires – largement relayés par une presse sympathisante – lancé par un groupe de prêtres autrichiens qui se sont mis à regretter l'engagement qu'ils avaient pris lors de leur ordination. Selon certains commentateurs pleins d'espérance, l'action menée par ces derniers ferait même « trembler l’Église catholique »...

On entend affirmer fréquemment que cette discipline du célibat sacerdotal ne remonterait qu'au Moyen Âge tardif, instituée pour des motifs très terre-à-terre. Concernant ses fondements, la question est disputée : s'agit-il d'une identification au Christ ou d'une simple conception empreinte d'encratisme ? Peu importe ici car il n'est question que de l'ancienneté de ce choix du célibat.

Certes, c'est au 1er Concile du Latran, en 1123, que l'on a explicitement défendu « aux prêtres, aux diacres et aux sous-diacres d’avoir sous leur toit des concubines ou des épouses » (canon 3). Toutefois, cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agît d’une première. Car le canon 33 du Concile d’Elvire, au tout début du IVème siècle, allait déjà dans ce sens, à une nuance près, en imposant « l'interdiction absolue suivante aux évêques, aux presbytres et aux diacres, ainsi qu'aux clercs qui assurent le ministère : ils s'abstiendront de leurs épouses et n'engendreront pas d'enfants ».

Une lecture rigoureuse de ce texte fait apparaître l'existence de ministres préalablement mariés. Mais à partir de leur ordination, ils devaient dorénavant se comporter comme des hommes célibataires. Ainsi, si l'ordination d'hommes mariés était possible – elle le demeure aujourd'hui en Orient ou, plus rarement, pour des transfuges de l'anglicanisme vers le catholicisme romain – on constate qu'ils devaient ensuite changer de mode de vie pour adopter celui de célibataires de fait puisque le canon 27 n'autorisait au clerc que la possibilité de cohabiter avec sa sœur ou sa fille.

mercredi 27 avril 2011

Sur l'origine de la tentation

Une phrase du Notre Père suscite des questions chez beaucoup de chrétiens : « Ne nous soumets pas à la tentation ». Est-ce à dire que Dieu est à l’origine de notre attirance pour le mal en nous faisant subir des tests de foi, d’espérance ou de charité ?

Ceux qui apprirent l’oraison dominicale il y a 50 ans prononçaient « Ne nous laisse pas succomber à la tentation », ce qui serait de nature à signifier que nous ne sommes pas des jouets entre les mains de notre Créateur. Toutefois, c’est une traduction imparfaite de « Ne nos indúcas in tentatiónem » – indúco ayant le sens de « conduire » ou « faire entrer » – dont la version française actuelle se rapproche davantage.

La liturgie grecque reprend le verbe εισψέρω que l’on trouve dans les récits évangéliques (Mt VI, 13 et Lc XI, 4) qui pourrait se traduire ainsi : « Ne nous emporte pas dans l’épreuve ». On constate que l’on est assez proche du texte latin.

Cependant, les paroles de l’apôtre Jacques sont on ne peut plus claires : « Que dans la tentation nul ne dise “C’est Dieu qui me tente” ; car Dieu est à l’abri des tentations du mal, et lui-même ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’entraîne et le séduit » (Jc I, 13-14). Et c’est ce sens, mettant en avant la responsabilité humaine plutôt que la méfiance divine, qu’a adopté le Catéchisme de l’Église Catholique (CEC 2846).

vendredi 4 mars 2011

"Vicarius Christi" ou "vicarius Petri" ?

Demander à quelqu'un qui est le chef de l'Église, c'est être quasiment sûr d'obtenir comme réponse « le Pape ». Et ce n'est pas faux. Mais c'est insuffisant.

Depuis le Concile de Florence (Bulle Laetentur caeli, 1439) qui déclare que le Pontife romain est le « vrai vicaire du Christ » jusqu'à Vatican II qui le qualifie de « chef visible de toute l'Église », on a particulièrement insisté sur la primauté du Siège de Rome et sa spécificité par rapport aux autres. De Nicée (325) à Florence, on énumérait les grands patriarcats – Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem – dans leur ordre de préséance. Et si cette hiérarchie est admise par les Orthodoxes, ils ne reconnaissent pas, en revanche, le « pouvoir plénier, suprême et universel » que les deux conciles du Vatican accordent au successeur de saint Pierre.

Le P. Congar a décrit un changement qui s'est produit vers la fin du Moyen-Age, dans une ecclésiologie post-scolastique : « Le rapport classique, repris par Vatican II, Pierre / autres Apôtres = pape / ensemble des évêques, tend à être remplacé, chez les plus curialistes par le rapport Christ / les Apôtres = le pape / les évêques ». Cette évolution « tend à attribuer au pape un pouvoir qualitativement différent, non pas seulement comme caput à l'intérieur d'un unique pouvoir collégial, mais comme caput-fons ou princeps, au dessus du reste du collège » (Yves CONGAR, Ministères et communion ecclésiale). Le Pape est, rappelons-le, successeur de saint Pierre et non pas successeur du Christ.

Il est ainsi moins incontestable d'affirmer que l'évêque de Rome, comme chaque pasteur d'une Église particulière – et selon une théologie héritée de saint Ignace d'Antioche
, représente le Christ-tête dans son Église. Il est cependant, dans la conception catholique, plus qu'un simple primus inter pares au sein du Collège apostolique. Mais il n'est pas non plus, à l'inverse, un monarque, ce que la qualification de « chef de l'Église » pourrait laisser penser.

mardi 11 janvier 2011

Marie Madeleine : erreur sur la personne

Il est de ces clichés tellement ancrés dans les esprits qu'on serait prêt à mettre la main au feu qu'il s'agit de faits incontestables à tenir comme des vérités de foi. Ainsi, la pomme qu'aurait croquée Adam ou le cheval dont serait tombé Paul de Tarse en chemin vers Damas. De même pour les « rois mages » dont chaque enfant a appris les patronymes respectifs en disposant les trois playmobils devant la crèche.

Contemporaine du Christ, Marie Madeleine est l'une des « saintes femmes » de l'évangile. Elle s'est vu attribuer la ferme réputation d'avoir eu des mœurs légères, quand on ne la qualifie pas carrément de prostituée. Tout cela à cause d'une surinterprétation de quelques péricopes évangéliques, et surtout d'une confusion entre trois personnages distincts : Marie de Magdala (Marie Madeleine), Marie de Béthanie et la pécheresse pardonnée. Le rapprochement entre les deux dernières peut se comprendre compte tenu de similitudes factuelles assez fortes – bien qu'il semble s'agir de deux scènes distinctes, l'une se déroulant chez Simon le lépreux (Matthieu XXVI, 6), l'autre chez un pharisien (Luc VII, 36). On aura l'identité de l'une des deux grâce à Jean XI, 2 et XII, 3 : Marie de Béthanie, sœur de Marthe et de Lazare. Quant à la pécheresse pardonnée, c'est soit cette même Marie – et le récit de l'onction aura été modifié –, soit une autre femme dont l'identité est tue par discrétion par rapport à ses actes passés, soit l'un de ces personnages dont la condition ou l'attitude – la veuve pauvre mettant son obole ou le centurion romain devant la Croix – prime sur l'identité. Mais rien ne permet de rapprocher Marie de Magdala de cette pécheresse, d'autant plus que Marie est nommée en Luc VIII, 2 alors que ladite pécheresse, évoquée juste avant (Luc VII, 41) reste anonyme.

Que savons-nous par le Nouveau Testament de Marie Madeleine ? D'abord qu'elle faisait partie de l'entourage de Jésus qui l'avait guérie d'esprits mauvais (Luc VIII, 2 ; Marc XVI, 9). Ensuite qu'elle était présente lors de la Passion parmi d'autres femmes (Matthieu XXVII, 56.61 ; Marc XV, 40.47 ; Jean XIX, 25) puis après la Résurrection (Matthieu XXVIII, 1, Marc XVI, 1-10 ; Luc XXIV, 10, et surtout Jean XX, 11-18). Au delà de ceci, tout le reste la concernant n'est qu'opinions, plus ou moins sérieuses et fondées, ayant fourni moults commentaires bibliques, coutumes folkloriques, et best-sellers surfant sur le croustillant – pensons à Nikos Kazantzakis et Dan Brown, écrivains qui ont bien compris la nuance entre croyance et crédulité.

dimanche 9 janvier 2011

La Parole de Dieu

« Lex orandi, lex credendi » : ce principe induit qu'une théologie défaillante est vouée à se traduire dans des fantaisies liturgiques. L'une d'elles nous est fréquemment donnée à voir, pendant la messe, lorsque le prêtre – ou le diacre – qui vient de lire l'évangile du jour se met à brandir à bout de bras le lectionnaire en proclamant « Acclamons la Parole de Dieu ». La Bible est-elle donc la Parole de Dieu ?

La constitution conciliaire Dei Verbum avait clairement affirmé : « En effet, la sainte Écriture est la Parole de Dieu » (DV 9). Cependant il faut reconnaître l'ambigüité de la version française du texte, qui traduit indifféremment « verbum » et « locutio » par « parole ». Et ici, la sainte Écriture est qualifiée de « locutio Dei », expression beaucoup moins solennelle que « Verbum Dei ». Car la Parole (en grec λόγος, en latin verbum), c'est le Christ, ou plus exactement Dieu le Fils : le Prologue de l'Évangile selon saint Jean – jadis lu à la fin de chaque messe – l'exprime avec intensité. D'ailleurs, dans un discours prononcé pour les 25 ans de la constitution sur la Révélation Divine, Jean-Paul II déclara : « L’expression initiale Dei Verbum, dont on se sert pour désigner le document, n’est pas, comme on est parfois tenté de le penser, un simple synonyme d’“Écriture sainte” ; son sens est plus large et plus complet : elle désigne la Parole vivante de Dieu, telle que Dieu la communique continuellement à l’Église et par l’Église ». Saint Jean de la Croix écrivait : « Dès lors qu'Il nous a donné son Fils, qui est sa Parole, Dieu n'a pas d'autre parole à nous donner ».

« Louange à toi, Seigneur Jésus » (« Laus tibi, Christe ») : c'est par cette réponse que l'assemblée priante acclame ainsi la Parole de Dieu, Jésus Christ, le Verbe fait chair.

samedi 8 janvier 2011

Epiphanie publicitaire

Une publicité récente pour une boisson « énergisante » – et dégueulasse – se présente sous la forme d'un dessin animé parodiant la scène de l'Épiphanie. À Marie qui vient d'enfanter s'adressent ainsi quatre personnages munis de présents : « Je vous salue Marie et Joseph. Nous sommes les quatre rois mages venus d’Orient pour présenter nos hommages à l’Enfant ». Ce à quoi Marie répond avec candeur : « Vous êtes quatre ? Mais dans le Nouveau Testament, vous n’êtes que trois... ».

Il aurait pourtant suffi au concepteur-rédacteur de ce spot d'ouvrir sa Bible pour éviter de faire de l'exégèse à partir de sa crèche playmobil. Il y aurait découvert que le Nouveau Testament n'évoque pas des « rois mages » mais simplement des « mages » (Matthieu II, 1). En outre, il n'est fait aucune mention de leur nombre – ni de leurs noms, d'ailleurs – ; on nous indique juste qu'ils étaient venus apporter « de l'or, de l'encens, de la myrrhe » (Matthieu II, 11). Rien de plus. Le reste est issu de croisements faits avec d'autres textes, bibliques ou apocryphes.

(à lire)