samedi 14 décembre 2013

Quid est veritas ?

Il y a certainement des personnes qui considèrent naïvement Charlie Hebdo comme une source d'information fiable concernant le domaine religieux. Malheureusement, à la rédaction dudit hebdomadaire, l'honnêteté intellectuelle fait encore plus cruellement défaut que la compétence journalistique lorsqu'il s'agit de commenter ce  type d'actualité. Non contents de manipuler les faits sous l'angle invariablement polémique, ils y ajoutent une dose de mauvaise foi qui vient parfaire la contre-vérité.

L'article suivant (ici) est une parfaite illustration de la méthode éditoriale : un titre racoleur, une entrée en matière percutante – et d'une rare ineptie quant à la nature du droit canonique –, une analyse impitoyablement biaisée. L'important est évidemment de démontrer à quel point l’Église catholique est obscurantiste, comme on dit de nos jours. Au besoin, on n'hésitera pas à déformer les faits afin de les faire entrer dans la grille d'appréhension du monde avec laquelle fonctionnent ces pamphlétaires à la petite semaine. Quand bouffer du curé devient un métier, l'objectivité est une faute professionnelle...

En ce qui concerne l'affaire elle-même – l'excommunication d'un prêtre australien – on peut trouver d'autres sources (ici ou ici) qui font apparaître, par contraste, la véracité très relative des révélations offertes aux lecteurs de Charlie-Hebdo.

lundi 11 novembre 2013

Allô docteur

Il n'est pas rare de croiser l'un de ces débatteurs qui récitent des articles de la Somme Théologique – ou Somme de Théologie – comme des mantras. Ils utilisent l'ouvrage de saint Thomas d'Aquin comme jadis les ménagères de moins de 50 ans sortant leur exemplaire de Je sais cuisiner pour préparer le dîner familial. Certains pensent même que tout catholique est tenu à une adhésion de foi à chacune des affirmations de l'Aquinate sous prétexte que ce dernier est docteur de l’Église. Que signifie ce doctorat ? « On donne ce titre, dans l’Église et dans la théologie catholique, à un théologien qui témoigne de l'ancienne Tradition de l’Église et qui répond aux quatre critères suivants : orthodoxie de la doctrine, sainteté personnelle, importance de l’œuvre théologique, reconnaissance officielle de l’Église. » (K. RAHNER, Petit Dictionnaire de Théologie Catholique)

Toutefois, l'orthodoxie de la doctrine ne confère pas à un écrit théologique la valeur d'une déclaration dogmatique. Un dogme est, rappelons-le, « une proposition que l’Église, par son magistère ordinaire ou par une définition papale ou conciliaire , enseigne formellement comme vérité révélée par Dieu, de sorte que sa négation constitue une hérésie. » (RAHNER) Si saint Thomas a le titre de Docteur de l’Église, ils sont une trentaine à l'avoir également reçu, comme par exemple saint Bonaventure, surnommé le « Docteur séraphique », et contemporain de saint Thomas. La spéculation intellectuelle est l’œuvre des théologiens mais le Magistère est confié aux pasteurs de l’Église. C'est à l'évêque diocésain qu'il revient de donner – ou non – l'imprimatur à un écrit théologique. Concernant les dogmes, l'ancien Code de Droit Canonique (1917) déclare : « Il appartient en propre de prononcer un jugement solennel de ce genre soit au concile œcuménique, soit au pontife romain parlant 'ex cathedra'. » (canon 1323)

On rétorquera que plusieurs papes ont mis en avant la pensée du Docteur angélique, par exemple Léon XIII déclarant : « On le considère à juste titre comme le défenseur spécial et l'honneur de l'Église catholique. […]Nous vous exhortons tous […] à rétablir et propager le plus possible la sagesse d'or de saint Thomas. » (Æterni Patris, 1879)

La lettre envoyée par Benoît XV au Supérieur des Jésuites vint préciser les limites de l'autorité des thèses thomistes : « Les étudiants de la Compagnie [de Jésus] peuvent à bon droit être délivrés de la crainte de ne pas suivre avec l'obéissance requise les préceptes des pontifes romains dont la position constante était que saint Thomas doit être considéré comme le maître et le docteur dans l'enseignement de la théologie et de la philosophie, chacun demeurant libre de disputer dans les deux sens de ce dont on peut et dont on a coutume de discuter. » (Quod de fovenda, 1917)

Pie XI synthétisera la position de l'Église de cette façon : « Dans l'étude de la philosophie rationnelle et de la théologie, comme dans l'enseignement de ces sciences aux élèves, les professeurs suivront en tous points la méthode, la doctrine et les principes du Docteur angélique, et ils se feront un devoir de conscience de s'y tenir. Mais que les uns n'exigent pas davantage des autres ce que l'Église, mère et maîtresse de tous, exige de tous ; et dans ces questions à propos desquelles dans les écoles catholiques les auteurs les meilleurs ont coutume de disputer selon des avis contraires, nul de doit être empêché de suivre l'opinion qui lui paraît plus vraisemblable. » (Studiorum ducem, 1923)

mercredi 19 décembre 2012

Laïcité : positive, négative ou neutre ?

Dans le climat tendu de polémiques liées au projet de loi concernant le « mariage pour tous » revient fréquemment ce poncif selon lequel les religions – enfin surtout le catholicisme – n'auraient pas à « s'immiscer dans le débat public ». Ce serait, selon certains, un des principes fondamentaux de la laïcité française. Sur quelles bases tangibles s'appuie donc ce déni de liberté d'expression fait aux croyants – citoyens qui, en théorie, bénéficient des mêmes droits que les athées, les agnostiques ou encore les anticléricaux notoires ?

Le texte de référence qui régit, pour l'essentiel, cette laïcité que d'aucuns ont trop tendance à vouloir calquer sur la Terreur Rouge est la version remaniée de la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. À entendre certaines déclarations intempestives sur le sujet, on peut se demander si tous les débatteurs qui l'évoquent en connaissent vraiment le contenu : ils risqueraient de le trouver un peu tiède en matière de lutte contre l'obscurantisme.

L'article 1 dispose : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. » On peut légitimement estimer que cette liberté de conscience est reconnue à tous, y compris aux croyants.


L'article 2 ajoute : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte [...] Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. » Il n'est nullement question de chasser la pratique religieuse de la sphère publique en renvoyant les curés dans leurs sacristies.

L'article 26 précise : « Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte. » Ce qui ne signifie pas qu'aucun propos touchant à la politique ne puisse être tenu dans un édifice religieux. Ou qu'une prière universelle ne puisse évoquer des faits de société. Le sens de la nuance gagnerait à être davantage répandu...

L'article 31 énonce : « Sont punis de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte. » En résumé : il est interdit de contraindre quelqu'un à pratiquer une religion. Il est aussi interdit de lui interdire. C'est cela qu'on appelle la « liberté religieuse ».

L'article 32 ajoute: « Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices. » Prenons un exemple : des militants associatifs faisant de l'agitprop pendant une messe encourraient une sanction pénale. Suite de l'exemple : combien de membres d'Act Up ont été condamnés après leurs divers chahuts pendant l'office dominical (à Notre-Dame de Paris, à la cathédrale de Meaux, à Saint-Joseph des Épinettes, etc.) ? Fin de l'exemple : qu'on fasse appliquer la loi !

Comme on peut le constater, la loi de 1905 n'a jamais visé à renvoyer les chrétiens dans les catacombes. Si l'époque des persécutions antichrétiennes représente un âge d'or pour quelques libres-penseurs obsessionnels, les principes de la laïcité française sont susceptibles de décevoir leurs attentes. Il serait bon que ceux qui parlent le plus de laïcité prennent le temps de vérifier leurs sources afin d'éviter de répéter en boucle des contre-vérités et de travestir ainsi les valeurs dont ils se targuent d'être les garants.

samedi 15 septembre 2012

Logique binaire

S'il y a bien une chose sur laquelle traditionalistes et progressistes se rejoignent, c'est leur manière d'envisager Vatican II. On a appelé cela l' « herméneutique de rupture ». C'est cette conception erronée de l’aggiornamento voulu par Jean XXIII que les deux franges extrêmes de l’Église – au point d'en être parfois en dehors – ont adoptée, les polémistes des deux bords agitant cette caricature comme une marionnette dans un théâtre pour enfants.

« Du passé faisons table rase ! » C'est ainsi qu'on nous résume le fameux « esprit du Concile » qu'affectionnent ceux qui font l'impasse sur les textes conciliaires au profit de raccourcis grossiers, de propos de table apocryphes et d'anecdotes devenues des légendes urbaines. Ils nous présentent tous une vision figée de la Tradition, les uns fantasmant un âge d'or passé, les autres confondant peuple de Dieu avec soviet.

Saint Thomas vit et crut. N'en faites pas autant s'il vous arrive de regarder l'un de ces documentaires sur l’Église dont le service public est coutumier.


   (Documentaire intégral ici)

vendredi 6 janvier 2012

Vatican II : une crise de foi ?

Parmi ceux à qui Vatican II donne des boutons, peu ont lu ne serait-ce qu'un seul des textes conciliaires. Cela n'empêche nullement ses détracteurs de donner leur avis sur les actes de cette assemblée d'où s'échappèrent les fameuses « fumées de Satan ». L'argument le plus fréquemment opposé tient au fait que Vatican II fut présenté comme un concile « pastoral ».  Ce terme est repris à l'envi par des personnes qui opposent de manière binaire « pastoral » à « dogmatique », limitant de fait ce dernier domaine aux canons et anathèmes.

Un excellent article (ici) publié sur La crise intégriste aborde – avec davantage de profondeur et de subtilité – la question de l'autorité des textes magistériels et notamment ceux du dernier concile œcuménique.

mardi 3 mai 2011

Singles

La question du célibat sacerdotal, tant dans son origine que dans ses implications concrètes, est un sujet qui enflamme les passions. Il provoque des débats sans fin, et souvent sans intérêt puisque nourris d'idéologie, étayés d'arguments contestables et de revendications impérieuses. L'actualité récente nous a nous a offert un énième écho de ces mouvements contestataires – largement relayés par une presse sympathisante – lancé par un groupe de prêtres autrichiens qui se sont mis à regretter l'engagement qu'ils avaient pris lors de leur ordination. Selon certains commentateurs pleins d'espérance, l'action menée par ces derniers ferait même « trembler l’Église catholique »...

On entend affirmer fréquemment que cette discipline du célibat sacerdotal ne remonterait qu'au Moyen Âge tardif, instituée pour des motifs très terre-à-terre. Concernant ses fondements, la question est disputée : s'agit-il d'une identification au Christ ou d'une simple conception empreinte d'encratisme ? Peu importe ici car il n'est question que de l'ancienneté de ce choix du célibat.

Certes, c'est au 1er Concile du Latran, en 1123, que l'on a explicitement défendu « aux prêtres, aux diacres et aux sous-diacres d’avoir sous leur toit des concubines ou des épouses » (canon 3). Toutefois, cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agît d’une première. Car le canon 33 du Concile d’Elvire, au tout début du IVème siècle, allait déjà dans ce sens, à une nuance près, en imposant « l'interdiction absolue suivante aux évêques, aux presbytres et aux diacres, ainsi qu'aux clercs qui assurent le ministère : ils s'abstiendront de leurs épouses et n'engendreront pas d'enfants ».

Une lecture rigoureuse de ce texte fait apparaître l'existence de ministres préalablement mariés. Mais à partir de leur ordination, ils devaient dorénavant se comporter comme des hommes célibataires. Ainsi, si l'ordination d'hommes mariés était possible – elle le demeure aujourd'hui en Orient ou, plus rarement, pour des transfuges de l'anglicanisme vers le catholicisme romain – on constate qu'ils devaient ensuite changer de mode de vie pour adopter celui de célibataires de fait puisque le canon 27 n'autorisait au clerc que la possibilité de cohabiter avec sa sœur ou sa fille.

mercredi 27 avril 2011

Sur l'origine de la tentation

Une phrase du Notre Père suscite des questions chez beaucoup de chrétiens : « Ne nous soumets pas à la tentation ». Est-ce à dire que Dieu est à l’origine de notre attirance pour le mal en nous faisant subir des tests de foi, d’espérance ou de charité ?

Ceux qui apprirent l’oraison dominicale il y a 50 ans prononçaient « Ne nous laisse pas succomber à la tentation », ce qui serait de nature à signifier que nous ne sommes pas des jouets entre les mains de notre Créateur. Toutefois, c’est une traduction imparfaite de « Ne nos indúcas in tentatiónem » – indúco ayant le sens de « conduire » ou « faire entrer » – dont la version française actuelle se rapproche davantage.

La liturgie grecque reprend le verbe εισψέρω que l’on trouve dans les récits évangéliques (Mt VI, 13 et Lc XI, 4) qui pourrait se traduire ainsi : « Ne nous emporte pas dans l’épreuve ». On constate que l’on est assez proche du texte latin.

Cependant, les paroles de l’apôtre Jacques sont on ne peut plus claires : « Que dans la tentation nul ne dise “C’est Dieu qui me tente” ; car Dieu est à l’abri des tentations du mal, et lui-même ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’entraîne et le séduit » (Jc I, 13-14). Et c’est ce sens, mettant en avant la responsabilité humaine plutôt que la méfiance divine, qu’a adopté le Catéchisme de l’Église Catholique (CEC 2846).